Volume 30 : Chapitre 1, Grande Montagne 21–30
Grande Montagne 21
Shin’ichi guida personnellement la délégation de la Fédération nationale de la jeunesse de Chine jusqu’à l’emplacement choisi.
Tout près du cerisier Zhou Enlai, deux autres cerisiers, devant lesquels avait été empilé un tas de terre fraîche, avaient été préparés pour la cérémonie de plantation. Ces arbres mesuraient environ quatre mètres de haut et affichaient de magnifiques fleurs rose pâle. Celui de gauche était le cerisier Zhou Enlai, celui de droite, le cerisier Deng Yingchao.
En présence des membres de la délégation en visite et d’un groupe d’étudiants de l’université Soka, la cérémonie de plantation commença. On tendit des pelles à Shin’ichi et au responsable de la délégation chinoise, Gao Zhanxiang, qui recouvrirent alors de terre les racines des arbres. Les jeunes gens applaudirent.
« Posons maintenant tous ensemble pour une photographie », suggéra Shin’ichi. Tous se rassemblèrent alors devant les arbres pour une photo de groupe.
Profondément ému, Gao prit la parole. Un jeune interprète traduisit ses propos en japonais : « Président Yamamoto, le cerisier Zhou Enlai et ces deux arbres dédiés au couple formé par Zhou Enlai et Deng Yingchao disent avec éloquence à quel point vous avez le désir sincère d’agir pour la paix et le développement de l’amitié avec la Chine. Je suis submergé d’émotion et aimerais vous exprimer ma reconnaissance avec ce poème improvisé. »
Il lança alors d’une voix sonore en chinois :
À l’occasion de cette visite à notre voisin d’Orient
à la saison des cerisiers en fleur,
nous ressentons la plus profonde considération et la plus sincère affection.
En admirant ces fleurs, nous apprécions d’autant plus ceux qui ont mis ces arbres en terre,
de même que, lorsque nous buvons de l’eau,
nous pensons souvent à ceux qui ont creusé le puits.
La voix de Gao retentissait avec force et émotion. Shin’ichi fut touché par tant de reconnaissance et éprouva un sentiment de grande humilité.
La véritable source de l’amitié est l’estime mutuelle.
Après son retour en Chine, Gao composa un poème rapportant la joie qu’il avait ressentie lors de sa visite au Japon :
Les relations entre proches voisins,
séparés seulement par une étroite bande maritime,
suivent un cours inépuisable;
la fleur de l’amitié
évoque à jamais le printemps.
Par la suite, il entreprit aussi d’étudier le japonais avec son fils. Il était convaincu que les échanges amicaux entre le peuple de Chine et celui du Japon se poursuivraient éternellement.
Zhou Enlai était profondément déterminé à bâtir une amitié qui s’étendrait sur des générations.
Quand le relais de l’amitié se transmet de génération en génération, cette amitié devient authentique et indestructible.
Grande Montagne 22
Shin’ichi éprouvait beaucoup de respect et d’admiration pour le responsable de la délégation de la Fédération nationale de la jeunesse de Chine, de sept ans son cadet. Les liens d’amitié qu’ils forgèrent à cette époque-là au Japon ne disparurent jamais.
À l’automne 1992, à l’occasion du 20e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre la Chine et le Japon, Shin’ichi effectua sa huitième visite en Chine. En cette occasion, le ministère de la Culture chinois lui offrit son premier prix pour sa contribution aux échanges culturels, en reconnaissance de ses efforts afin de promouvoir les échanges entre les deux pays.
Lors de la cérémonie officielle, ce fut Gao Zhanxiang, alors vice-ministre de la Culture, qui transmit à Shin’ichi le certificat officiel. Par ailleurs, Gao, qui était très épris de poésie, de calligraphie et de photographie, offrit à Shin’ichi une calligraphie où était écrit : « Séparés seulement par une étroite bande maritime ; plus lointaine est la source, plus long est le fleuve. »
Gao occupa par la suite de nombreux autres postes importants, notamment en tant que membre de la Conférence du conseil politique du peuple chinois, responsable de l’Association de photographie d’art chinoise, secrétaire de la Fédération chinoise de littérature et d’art, et président de l’Association pour la promotion de la culture chinoise. En déployant ses multiples capacités, il se consacra de tout cœur à la promotion et au développement des activités culturelles en Chine.
Il est aussi l’auteur de plusieurs livres, notamment Wenhua li (Le pouvoir de la culture) et Shehui wenhua lun (Théorie sociale et culturelle).
Gao poursuivit ses échanges avec Shin’ichi sur le pouvoir de la culture et, en 2010, durant toute une année, ils se lancèrent ensemble dans un dialogue intitulé Chikyu wo musubu bunkaryoku (Le pouvoir unificateur de la culture), qui parut en feuilleton dans le magazine Ushio, affilié à la Soka Gakkai. Publié sous forme de livre en 2012, leur dialogue portait sur le pouvoir de la culture en tant que force de paix réunissant l’humanité et couvrait un large éventail de sujets, notamment l’histoire des échanges entre la Chine et le Japon, l’art, la culture et la religion.
Après avoir décidé de démissionner de sa fonction de président de la Soka Gakkai, Shin’ichi s’était déjà tourné résolument vers le monde. Les guerres et conflits qui jetaient le trouble en Asie et dans d’autres régions lui causaient une peine infinie. En tant que bouddhiste et être humain, il considérait que le temps était maintenant venu d’ouvrir la voie de la paix et de l’harmonie humaine. Il croyait aussi que c’était là le défi le plus important et que les dirigeants et penseurs du monde entier devaient joindre leurs forces pour relever ce défi.
Comme s’il se trouvait au sommet d’une haute montagne, plein de noblesse et de dignité, Shin’ichi fixait ses yeux sur l’avenir lointain. Les tourbillons furieux et toute l’agitation qui l’entouraient ne faisaient pas plus d’effet sur lui que le bruissement des arbres quand souffle un vent léger.
Grande Montagne 23
Le 9 avril, par une belle et claire journée, se tint, à partir de midi, la neuvième cérémonie d’entrée à l’université Soka. Shin’ichi Yamamoto, le fondateur de l’université, s’adressa aux étudiants qui faisaient leur entrée, en leur souhaitant le plus brillant avenir. Évoquant l’importance de se former tout au long de sa vie, il les exhorta à toujours conserver l’« esprit d’apprendre avec humilité » et à faire le maximum d’efforts durant leurs quatre années d’étude à l’université.
Dans son discours, il reprit une citation du philosophe et sociologue allemand, Georg Simmel (1858-1918) : « Pour la personne fière, c’est le degré absolu de sa valeur qui compte – pour la personne vaniteuse, c’est le degré relatif1. »
Chaque personne a une valeur unique et absolue qui lui est propre et, en tant que telle, mérite le plus grand respect et possède une mission propre. Quand nous nous consacrons avec fierté à notre mission, nous faisons l’expérience de la joie véritable et du plaisir de vivre. Shin’ichi déclara devant les étudiants que le véritable succès dans la vie ne se mesure pas à des facteurs relatifs comme le statut social ou la position. « Ce ne sont pas les autres qui décident de la valeur de votre vie, leur dit-il. C’est vous-mêmes. Il n’y a pas lieu de se comparer avec les autres ni de se laisser ballotter par des jugements relatifs ou temporaires, ou encore de se préoccuper exagérément de l’opinion d’autrui et des tendances du moment. En définitive, ces choses-là sont aussi volatiles et dépourvues de substance que l’écume des vagues. »
Pour conclure, Shin’ichi exprima son espoir que les étudiants ne soient pas passifs ou dépendants, mais suivent activement la voie qu’ils ont choisie dans la vie, en accord avec leurs convictions.
Après la cérémonie d’entrée, Shin’ichi participa à une réception destinée aux invités. Puis, à 19 heures, il se rendit dans le hall d’entrée du bâtiment des arts libéraux où il rencontra quatre étudiants chinois, fraîchement arrivés sur place, qui allaient commencer leurs études à l’institut de langue japonaise.
« Je suis heureux de vous accueillir à l’université Soka, dit Shin’ichi. En tant que fondateur, je tiens à vous souhaiter du fond du cœur la bienvenue. J’aimerais aussi vous remercier infiniment d’avoir choisi de faire vos études ici. »
En avril 1975, l’université Soka avait accueilli ses six premiers étudiants chinois. C’étaient les premiers étudiants parrainés par le gouvernement chinois venus étudier au Japon depuis la normalisation des relations entre les deux pays.
Il s’agissait désormais du troisième groupe d’étudiants chinois inscrits à l’université Soka. Les membres du premier groupe jouaient déjà un rôle actif dans la promotion de l’amitié entre la Chine et le Japon.
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« Posons ensemble pour une photo afin de commémorer cet événement », dit Shin’ichi Yamamoto aux étudiants chinois.
Il se joignit alors à eux et aux membres du personnel de l’ambassade de Chine qui les accompagnaient pour une photo. Puis il serra les mains de chacun. Tout en raccompagnant le groupe, il dit : « C’est désormais votre alma mater. Si vous avez la moindre question, adressez-vous en toute liberté à vos enseignants ou à vos compagnons d’étude.
« Les membres des deux premiers groupes d’étudiants chinois se sont tous engagés avec passion dans leurs études et ont connu un remarquable développement. Ils font aujourd’hui de brillantes carrières professionnelles. J’espère qu’il en sera de même pour vous.
« L’avenir de la Chine et du Japon repose sur vos épaules. En étudiant avec passion, vous contribuerez à faire connaître plus profondément le Japon en Chine. En vous faisant des amis ici, vous permettrez au Japon de mieux comprendre la Chine. Œuvrons ensemble à bâtir et à protéger le pont doré de la paix. »
Les yeux brillants, les étudiants chinois acquiesçaient avec enthousiasme tout en écoutant Shin’ichi.
Quand ils quittèrent le bâtiment et parvinrent devant les deux statues de bronze situées sur l’esplanade, un groupe important d’étudiants de l’université Soka aperçut Shin’ichi et ces étudiants chinois et se dirigea vers eux.
Shin’ichi fit les présentations : « Voici le troisième groupe d’étudiants chinois venus étudier ici. Que diriez-vous d’interpréter le chant de l’université Soka pour les accueillir ? »
Les étudiants japonais se mirent rapidement en rang en se tenant par l’épaule, et les étudiants chinois se joignirent à eux. Leur chant plein d’enthousiasme résonna dans la nuit printanière. « Au-dessus des collines enflammées par l’éclat pourpre des azalées […] »
Shin’ichi et le président de l’université accompagnèrent le chant en tapant dans leurs mains. Les étudiants se balançaient de droite à gauche tandis que leurs voix passionnées s’élevaient à l’unisson vers le ciel.
Intérieurement, Shin’ichi perçut l’amitié future entre le peuple de Chine et celui du Japon. Il vit un phare d’espoir illuminer la voie de la paix. Les relations amicales entre tous ces jeunes symbolisaient la paix qui irait grandissant dans le monde futur.
Pour ces étudiants chinois, ce premier jour à l’université Soka dut être ô combien mémorable.
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Le 8 avril, à la veille de cette rencontre à l’université Soka entre les étudiants chinois et Shin’ichi, qui annonçait la création de nouveaux liens d’amitié, Deng Yingchao arriva au Japon. La veuve du regretté Zhou Enlai était aussi la vice-présidente du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire. Elle était venue en visite au Japon à la tête d’une délégation de cette assemblée, en réponse à une invitation des responsables des deux Chambres du parlement japonais.
Le 9 avril, Deng Yingchao, alors âgée de 75 ans, avait un emploi du temps chargé en rencontres officielles. Elle devait notamment s’entretenir avec les responsables du Parlement qui avaient invité sa délégation, ainsi qu’avec le Premier ministre Masayoshi Ohira et l’empereur du Japon.
Shin’ichi rencontra Deng Yingchao à 15 h 30, le 12 avril, à la Maison des hôtes d’État, dans le quartier de Moto-Akasaka, à Tokyo. Sept mois s’étaient écoulés depuis leur dernière entrevue. En septembre de l’année précédente (1978), durant sa quatrième visite en Chine, Shin’ichi avait eu l’occasion de rencontrer Deng Yingchao à deux reprises et avait eu avec elle un long échange. Quand il lui avait demandé si elle avait l’intention de se rendre au Japon, elle lui avait répondu qu’elle aimerait bien venir au moment où les cerisiers, tant appréciés par son mari, seraient en pleine floraison.
Malheureusement, quand vint le moment de ce voyage si longtemps attendu, les fleurs de cerisier étaient déjà tombées à Tokyo. Souhaitant que Deng Yingchao ait malgré tout l’occasion d’en voir, Shin’ichi fit livrer à la Maison des hôtes d’État de magnifiques fleurs de cerisier typiques de la région de Tohoku, au nord-est du Japon. Deng Yingchao en fut profondément ravie.
Les fleurs de cerisier avaient été assemblées en une superbe composition. Puis, le jour de la rencontre à la Maison des hôtes d’État, elles avaient été placées dans le Asahi no Ma (le salon du Soleil levant).
En plus de Deng Yingchao, la délégation de l’Assemblée nationale populaire comportait beaucoup de visages familiers pour Shin’ichi. Il y avait là de nombreuses personnes qu’il avait eu l’occasion de rencontrer lors de ses voyages en Chine. Parmi eux figuraient Lin Liyun, un membre du Comité permanent, qui avait servi d’interprète lors de la rencontre entre Shin’ichi et le Premier ministre Zhou Enlai (en décembre 1974), et Zhao Puchu, vice-président de l’Association bouddhiste de Chine.
« Alors que c’est moi qui aurais dû aller vous témoigner tout mon respect, c’est vous qui me faites l’honneur de venir me voir ici », dit Deng Yingchao, d’une voix énergique.
La considération envers les autres, exprimée tant par les mots que par l’action, unit les cœurs.
Shin’ichi salua chaleureusement Deng Yingchao : « Tout l’honneur est pour moi. Je suis si heureux de vous voir en bonne santé. Merci d’avoir effectué ce long voyage jusqu’au Japon. Je me réjouis vraiment de vous accueillir ici. Votre visite au Japon ajoutera de la beauté et un parfum de renouveau dans l’histoire de nos deux pays, de même que les fleurs de cerisier embaument l’air printanier. »
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En prévision de sa rencontre avec Deng Yingchao, Shin’ichi avait préparé un album de photographies. Il contenait des photos du cerisier Zhou Enlai, qu’il avait planté pour symboliser l’aspiration du Premier ministre à une amitié durable entre la Chine et le Japon, ainsi que les cerisiers Zhou Enlai et Deng Yingchao qu’il venait de mettre en terre avec des membres de la délégation de la Fédération nationale de la jeunesse de Chine. Il y avait aussi des photos des étudiants chinois de l’université Soka.
Il montra l’album à Deng Yingchao, page après page, et lui rapporta combien les étudiants chinois faisaient preuve de passion dans leurs études. Elle regarda les photos avec un sourire radieux : « J’avais vraiment l’intention de visiter l’université Soka à l’occasion de ce voyage, lui dit-elle, mais malheureusement mon emploi du temps ne me le permet pas. »
Elle évoqua la quatrième visite de Shin’ichi en Chine, en septembre de l’année précédente, et leur rencontre en cette occasion dont elle avait gardé de bons souvenirs.
Durant cette visite, Shin’ichi avait proposé l’organisation d’une exposition au Japon transmettant la vision et les accomplissements de Zhou Enlai, dans l’esprit de promouvoir une amitié durable entre les peuples des deux pays.
Dans leur conversation à la Maison des hôtes d’État de Tokyo, ils évoquèrent de nouveau ce projet d’exposition, et Deng Yingchao fit aussi part de ses impressions personnelles sur le Japon. Elle raconta sa rencontre avec l’empereur du Japon et évoqua les progrès de la Chine dans la concrétisation des objectifs énoncés par Zhou Enlai, connus sous le nom de « Quatre Modernisations ». L’un et l’autre prirent tant de plaisir à échanger leurs pensées en toute amitié qu’ils ne virent pas le temps passer.
Deng Yingchao demanda à Shin’ichi de revenir en Chine, et il répondit en souriant qu’il n’y manquerait pas et qu’il se ferait un plaisir de la revoir en cette occasion. Leur conversation cordiale dura une quarantaine de minutes.
Alors que tout le monde s’était levé et s’apprêtait à partir, Shin’ichi sentit qu’il ne pouvait pas laisser Deng Yingchao s’en aller sans lui confier ce qu’il avait dans le cœur. « En fait, lui dit-il, j’envisage de démissionner de la présidence de la Soka Gakkai. »
Deng Yingchao s’arrêta brusquement et lui dit en le regardant dans les yeux : « Ne faites pas cela, président Yamamoto. Vous êtes encore trop jeune. Vous avez le soutien du peuple et c’est le plus important. Tant que vous aurez son soutien, vous ne devez pas démissionner. »
Son regard d’une grande gravité était celui d’une dirigeante qui avait consacré toute sa vie, avec son mari Zhou Enlai, à édifier la république populaire de Chine ; c’était aussi le regard empli d’affection d’une mère du peuple.
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« Vous ne devez pas reculer, même d’un seul pas ! » poursuivit Deng Yingchao d’un ton vigoureux.
Puis, un sourire se dessina de nouveau sur son visage.
Ces paroles avaient une profonde portée car elles venaient d’une femme qui avait lutté infatigablement durant des décennies et dans les conditions les plus périlleuses, en étant attaquée de toutes parts par ses ennemis. En définitive, la décision de démissionner ou non reviendrait bien évidemment à Shin’ichi lui-même, mais il fut touché par la sincérité de Deng Yingchao et éprouva de la reconnaissance pour ses paroles de soutien.
Désirant répondre à ses sincères préoccupations, il renouvela sa détermination d’agir tout au long de sa vie afin de forger une amitié durable entre la Chine et le Japon, quelles que soient sa position ou sa situation personnelle, réitérant ainsi les engagements qu’il avait déjà pris devant le Premier ministre Zhou Enlai.
Pour tenir sa promesse auprès de Deng Yingchao et accomplir son vœu d’œuvrer sans cesse à des relations amicales entre les deux pays, Shin’ichi se rendit pour la cinquième fois en Chine l’année suivante, en avril 1980.
Deng Yingchao invita Shin’ichi et son épouse, Mineko, chez elle, au Xihuating (Hall des fleurs de l’Ouest), dans le quartier de Zhongnanhai, à Pékin. Elle avait vécu là avec Zhou Enlai durant de nombreuses années.
Shin’ichi et son épouse, accompagnés d’autres membres de leur groupe, furent introduits dans le salon, où, leur dit-on, Zhou Enlai avait reçu de nombreux invités étrangers avant l’achèvement du palais de l’Assemblée du peuple. Deng Yingchao leur fit également visiter le jardin. On pouvait y voir un pommier d’ornement couvert de bourgeons roses et y sentir le parfum des lilas mauves.
Tout en se promenant, ils poursuivirent leur conversation amicale.
Shin’ichi se rendit de nouveau en Chine en juin 1984. En cette occasion, Deng Yingchao l’accueillit dans le palais de l’Assemblée du peuple, en sa qualité de présidente de la Conférence politique consultative du peuple chinois. Elle lui fit part de son souhait de multiplier les échanges entre les jeunes de Chine et du Japon.
Cinq ans plus tard, le 4 juin 1989, eurent lieu en Chine les terribles événements de la place Tiananmen. De nombreux pays occidentaux suspendirent par la suite toute rencontre officielle avec de hauts responsables chinois, et le Japon gela les prêts accordés au gouvernement de ce pays – autant d’actions qui isolèrent la Chine de la communauté internationale.
Shin’ichi se dit : « En fin de compte, c’est le peuple de Chine qui souffre de cette situation. Le temps est maintenant venu d’agir avec encore plus d’ardeur, par amitié pour ces personnes ordinaires, afin d’ouvrir de nouvelles possibilités d’échange. C’est cela, après tout, la loyauté et la véritable amitié ! »
C’est uniquement quand nous avons l’esprit de créer ainsi des échanges que le dialogue peut s’engager.
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Shin’ichi avait d’abord prévu d’aller en Chine en septembre 1989 pour assister à des événements commémorant le 40e anniversaire de la fondation de la république populaire de Chine, mais les circonstances le contraignirent à reporter sa visite. Shin’ichi demanda à son représentant de transmettre à Deng Yingchao sa ferme détermination de lui rendre visite au printemps de l’année suivante. Il lui fit également parvenir un portrait grandeur nature de son époux Zhou Enlai et d’elle-même.
Shin’ichi était absolument déterminé à faire en sorte que la Chine ne soit pas marginalisée au sein de la communauté internationale.
Puis, en mai 1990, la septième délégation de la Soka Gakkai en Chine ainsi qu’une autre délégation de la Soka Gakkai œuvrant à la promotion des échanges amicaux – soit un total de deux cent quatre-vingt-un membres japonais – se rendirent en Chine. Leur visite suscita un nouvel élan en faveur de la réouverture des échanges et, par la suite, de nombreux autres groupes qui hésitaient à renouer des relations, préférant temporiser et observer l’évolution de la situation, suivirent finalement leur exemple.
Shin’ichi et Mineko retrouvèrent de nouveau Deng Yingchao chez elle, à Zhongnanhai.
Âgée de 86 ans, elle était alors hospitalisée mais avait tenu à sortir de l’hôpital pour accueillir elle-même ses invités. En la voyant sur le pas de sa porte, Shin’ichi se précipita vers elle et lui prit la main. Elle avait déjà bien du mal à marcher et était visiblement affaiblie, mais elle avait gardé toute sa vivacité d’esprit.
D’un air préoccupé, Shin’ichi lui dit : « En tant que mère du peuple, restez en bonne santé, je vous en prie. Quand une mère va bien, ses enfants eux aussi se portent bien. »
Deng Yingchao offrit à Shin’ichi un coupe-papier en ivoire qui avait appartenu à Zhou Enlai, ainsi qu’un porte-plume en jade dont elle s’était longtemps servie. Ces présents, qu’elle lui remit avec joie, représentaient en fait des trésors nationaux. Elle avait sûrement senti que la fin de sa vie approchait. Shin’ichi comprit son état d’esprit, et son cœur se serra. Il accepta ces cadeaux comme des symboles de la lutte éternelle pour la paix et l’amitié.
Ce devait être leur dernière rencontre. Deng Yingchao décéda deux ans plus tard, en juillet 1992, à l’âge de 88 ans. Mais les liens d’amitié et de confiance que Zhou Enlai et elle avaient établis entre la Chine et le Japon perdurent, tel un pont éternel reliant ces deux peuples.
Le cœur est invisible. Mais, quand des cœurs s’unissent fermement, ils forment d’authentiques liens d’amitié.
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L’après-midi du 13 avril, le lendemain de sa rencontre avec Deng Yingchao dans la Maison des hôtes d’État, Shin’ichi retrouva Konosuke Matsushita, le fondateur de Matsushita Electric (rebaptisé plus tard Panasonic Corporation), dans l’arrondissement de Shinjuku, à Tokyo.
Shin’ichi avait prévu d’informer également M. Matsushita, avec qui il avait tissé de profonds liens d’amitié, de son intention de démissionner de la présidence de la Soka Gakkai.
« Je prévois de me retirer de la présidence et de poursuivre mes actions dans un autre cadre, pour le bien de la génération future et de l’avenir. »
Matsushita ne demanda aucun autre détail, et lui dit en souriant : « Je vois. Vous allez donc quitter votre poste de président. Je pense que la vie la plus admirable qui soit est celle dont on peut tirer une fierté personnelle et se féliciter. »
Ces paroles étaient particulièrement avisées. Le statut détenu dans la société ou dans une entreprise, ainsi que les opinions ou les appréciations des autres sont, en ce sens, tout à fait insignifiants. Mener une vie honnête en restant fidèle à ses propres convictions est la voie qui permet de remporter véritablement la victoire en tant qu’être humain.
Ce soir-là, peu après 20 heures, Shin’ichi arriva au centre culturel de Kanagawa, qui venait d’être achevé, à Yokohama, dans la préfecture de Kanagawa. Le lendemain, 14 avril, il devait participer à des cérémonies de Gongyo marquant l’inauguration du centre.
Le centre culturel de Kanagawa s’élevait sur dix étages, auxquels s’ajoutaient deux niveaux en sous-sol. Sa façade en brique rouge lui donnait un air majestueux et cosmopolite.
Dans cette même préfecture de Kanagawa, le 8 septembre 1957, lors de la rencontre sportive du département de la jeunesse de l’est du Japon, au stade Mitsuzawa, à Yokohama, son maître, Josei Toda, avait lancé sa déclaration appelant à l’abolition des armes nucléaires. Kanagawa était, en ce sens, le lieu d’où était parti le mouvement pour la paix de la Soka Gakkai.
Devant le centre culturel s’étendait le parc Yamashita, qui s’ouvrait au loin sur le port de Yokohama. Dans la pénombre du soir, les lumières des bateaux dansaient dans le port et une rangée de lampadaires brillaient, pareille à un magnifique alignement de pierres précieuses. C’est l’endroit idéal, se dit Shin’ichi, pour clore la période des Sept Cloches et annoncer le départ de la Soka Gakkai pour un nouveau voyage vers la paix et la culture.
Tandis que, sous le ciel étoilé, on entendait les bateaux tanguer dans la nuit, Shin’ichi sentit que l’aube éclatante d’un nouveau jour allait se lever.
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Le 14 avril, l’ouverture du centre culturel de Kanagawa fut célébrée par deux cérémonies de Gongyo, une dans la journée, l’autre le soir. Les membres présents étaient pleins de joie et d’enthousiasme.
Shin’ichi participa aux deux cérémonies. Il y exprima sa très profonde reconnaissance envers les efforts de chacune et de chacun. À l’une de ces cérémonies, il évoqua, dans ses encouragements, les bons souvenirs qu’il avait gardés de sa première réunion de discussion dans la ville de Yokohama : « Cela doit faire maintenant trente ans, j’avais alors 21 ans. La réunion se passait chez un responsable, près de la gare de Kokudo, sur la ligne ferroviaire Tsurumi de la JNR (l’actuelle JR). Il y avait cinq invités, et la pièce était remplie de membres – femmes et hommes, jeunes et aînés.
« Comme il convient pour un jeune, j’ai partagé avec enthousiasme mon expérience dans la foi et, en présentant les orientations de mon maître, Josei Toda, j’ai souligné la grandeur du bouddhisme de Nichiren. D’après mes souvenirs, ce jour-là, les cinq invités ont tous décidé de rejoindre la Soka Gakkai. »
En matière de transmission, rien n’a plus de force et d’impact que la richesse de nos expériences de vie, mais aussi que l’expression de notre croyance dans le pouvoir du Gohonzon et de notre souhait sincère de voir les autres devenir heureux. Même si l’on est jeune, quand on s’exprime avec conviction et avec le souci du bien-être des autres, nos paroles touchent ceux qui nous écoutent et trouvent un écho dans leur cœur.
« Ici aussi, à Kanagawa, j’ai déployé toute mon énergie dans les activités de transmission et dans les réunions de discussion, et je me suis consacré de toutes mes forces à donner des cours sur les écrits de Nichiren pour les districts ou des encouragements personnels. Tous ces efforts constituent aujourd’hui des souvenirs joyeux et significatifs de ma jeunesse. J’ai aussi gravé profondément dans mon cœur le souvenir de chacun des précieux et inoubliables membres qui ont œuvré avec moi dans les activités. »
Shin’ichi avait le sentiment que l’annonce de sa démission ferait l’effet d’un choc pour les membres. Or, il était essentiel que rien ne vienne ébranler leur foi. C’est pourquoi il entendait d’abord les inciter à établir une foi absolument inébranlable.
Il ajouta : « La Soka Gakkai rencontrera bien des tournants majeurs et sera confrontée à des situations critiques qu’elle devra surmonter. Mais, quelle que soit la situation, le point de départ vers lequel nous devons revenir est ce que le président Makiguchi appelait l’“esprit de se dresser par soi-même”, le noble esprit de kosen rufu. »
- *1Traduit de l’anglais. Georg Simmel, The View of Life: Four Metaphysical Essays with Journal Aphorisms (La conception de la vie : quatre essais métaphysiques et journal des aphorismes), Chicago, University of Chicago Press, 2010, p. 181.