Volume 30 : Chapitre 1, Grande Montagne 51–60
Grande Montagne 51
Lors de cette réunion des responsables, Shin’ichi devait intervenir en premier, avant de laisser la parole au nouveau président, Kiyoshi Jujo.
Lorsque Shin’ichi prit place derrière le micro, tous les participants, visiblement tendus, fixèrent leur regard sur lui.
« Je vous en prie, ne me regardez pas d’un air si effrayant ! Il s’agit de célébrer le nouveau président. Et, puisque j’ai travaillé si dur pendant dix-neuf ans à la tête de notre mouvement, ne pourriez-vous pas au moins m’adresser un sourire et me dire : ″Merci pour tous vos efforts !″ ? »
L’humour de Shin’ichi déclencha un éclat de rire général. L’atmosphère lourde qui régnait dans la salle s’en trouva instantanément allégée.
« Les Sept Cloches, poursuivit-il, étaient l’expression de la profonde et puissante détermination du deuxième président de la Soka Gakkai, Josei Toda, de réaliser kosen rufu. Elles traduisaient son désir de nous voir établir les fondations d’un vaste développement de kosen rufu à l’échelle mondiale. Nous sommes maintenant arrivés au terme de ces Sept Cloches en remportant la victoire grâce au pouvoir du Gohonzon et aux efforts dévoués de tous les membres. J’aimerais en cette occasion leur faire part de ma plus profonde gratitude.
« Pour garantir la pérennité de notre organisation, il est essentiel de changer la situation qui consiste à laisser un seul responsable tenir la barre pendant une longue période. C’est la raison de ce nouveau départ – assurer un avenir brillant à la Soka Gakkai.
« Notre nouveau président, Kiyoshi Jujo, a quelques années de plus que moi. Il aurait pu sembler plus naturel de transmettre le relais à quelqu’un de plus jeune, mais la Soka Gakkai est une grande organisation, et je suis donc très heureux et soulagé qu’elle ait choisi comme nouveau président quelqu’un qui est doté d’un jugement sain et d’une solide expérience et qui a travaillé à mes côtés depuis les tout débuts de notre mouvement et beaucoup contribué à kosen rufu.
« Le président Jujo est très méticuleux et possède un sens aigu de ses responsabilités. Il est intègre et bénéficie d’une santé solide.
« Quant au directeur général Kazumasa Morikawa, il est à la fois plus âgé que moi et que le président Jujo, et il est comme nous un successeur du président Toda qui se consacre à poursuivre son œuvre et à transmettre son legs. Bien qu’il n’ait pas été souvent sur le devant de la scène, sa foi est sans égale.
« J’espère que vous œuvrerez avec notre nouveau président et notre directeur général et que vous ferez de grands efforts fondés sur la foi, unis selon le principe de “différents par le corps, un en esprit”. »
Nichiren écrit : « Si la conscience d’être “différents par le corps, un en esprit” prévalait parmi les êtres humains, ils atteindraient tous leur but. » (Écrits, 622) Ce passage présente la clé pour réaliser kosen rufu.
Grande Montagne 52
Shin’ichi s’exprimait avec de plus en plus de passion. « Toutes sortes d’événements se produiront au cours du voyage de kosen rufu. Des changements auront lieu notamment en ce qui concerne la direction du mouvement. L’essentiel est de continuer d’aller constamment de l’avant vers notre objectif, sans nous laisser ballotter. C’est bien là, après tout, l’esprit même de la Soka Gakkai !
« Allons de l’avant en accord avec cet article d’admonition de Nikko Shonin : “Tant que kosen rufu ne sera pas réalisé, propagez la Loi au mieux de vos capacités sans donner votre vie à contrecœur.” (GZ, 1618) !
« À titre personnel, je continuerai de faire avancer kosen rufu en m’y consacrant de tout mon être. J’espère que chacune et chacun de vous s’éveillera aussi à la mission personnelle unique qui est la sienne et se dressera par lui-même pour la remplir. L’important est d’être déterminé à consacrer sa vie à kosen rufu, quoi qu’il arrive.
« Notre organisation est un moyen de mener les êtres humains vers l’atteinte de la bouddhéité, c’est-à-dire vers un état de vie heureux. La structure et les responsabilités exercées n’apportent pas en elles-mêmes de bienfaits. L’organisation est certes importante, on pourrait la comparer à ce qu’est le squelette pour le corps humain. C’est seulement quand nous nous livrons avec passion à des activités pour kosen rufu et pour le bonheur des autres que notre organisation s’imprègne véritablement de chaleur humaine, que tout le monde fait l’expérience de la joie et que nous recevons nous-mêmes de grands bienfaits.
« C’est pour cela que les responsables ne doivent pas rester assis, avec une attitude oisive, au sommet de l’organisation, ni se transformer en bureaucrates. J’espère que vous veillerez toujours à ce que la Soka Gakkai agisse pour le bonheur des membres et pour kosen rufu, imprégnée d’un esprit de soutien mutuel et de compassion fondé sur le principe de “différents par le corps, un en esprit” et qu’elle soit ainsi une source de bien-être et de réconfort pour tout le monde.
« Quoi qu’il arrive, le bienfait du Gohonzon est absolu. Avancez avec une foi inébranlable. Ne laissez pas vos émotions prendre le dessus.
« Plus que tout, soyez heureux. J’aimerais que vos familles et vous-mêmes, – que tout le monde soit heureux. Tel est mon souhait et telle est ma prière. J’espère que chacune et chacun de vous progressera jour après jour, sans regret, de façon à ce que Nichiren puisse faire l’éloge de votre foi remarquable et vous considère comme un bon disciple. »
Shin’ichi parlait avec son cœur.
Il voulait que chaque membre soit une personne courageuse, avec une foi autonome, car telle est la clé pour parvenir à son propre bonheur et pour réaliser kosen rufu.
Grande Montagne 53
Après l’intervention de Shin’ichi Yamamoto, le nouveau président, Kiyoshi Jujo, prit la parole pour clore la réunion et partagea en toute franchise ses sentiments avec les membres.
« Depuis maintenant plusieurs années, le président Yamamoto nous a exhortés à peaufiner nos qualités puisque, en définitive, nous aurons à prendre l’initiative et à œuvrer ensemble pour propulser la Soka Gakkai. Dans mon cœur, je souhaitais cependant qu’il demeure notre président et espérais vivement qu’il ne démissionnerait pas. Mais, aujourd’hui, alors que s’achèvent les Sept Cloches, le président Yamamoto a pris une décision ferme.
« Il ne cesse de nous dire que nous ne devons pas dépendre seulement de lui parce que cela entraverait le développement à long terme de notre mouvement pour kosen rufu. Et, en ce qui nous concerne, nous avons affirmé avec fierté qu’il n’avait rien à redouter et que nous prendrions en charge l’avenir. Le moment de traduire nos paroles en actes est aujourd’hui arrivé.
« En raison de mon manque de capacités et dépourvu comme je le suis de talents particuliers, je ne me sens pas du tout à la hauteur de la tâche qui m’attend. Mais, avec votre soutien, je vous promets de faire le maximum d’efforts pour tous les membres de la Soka Gakkai. »
Jujo avait été le témoin direct des efforts altruistes de Josei Toda, qui avait consacré toute sa vie à kosen rufu, ainsi que de la suite sans fin de luttes ardues engagées par son disciple, Shin’ichi Yamamoto. Il savait combien la responsabilité représentée par la fonction de président était lourde.
« Nos trois premiers présidents – MM. Makiguchi, Toda et Yamamoto – ont concrétisé l’esprit de la Soka Gakkai, qui consiste à se consacrer au bouddhisme, au bien-être de la société et au bonheur des gens. Ils étaient aussi animés par leur passion inébranlable pour kosen rufu. J’entends perpétuer ce grand esprit et cette passion au XXIe siècle et créer une vague de développement constant et durable. Je suis de nouveau déterminé à faire pour le mieux – à réfléchir et à renforcer ma foi et mes efforts pour partager le bouddhisme avec les autres – comme si je prenais un nouveau départ. »
La foi consiste à renouveler chaque jour notre détermination, tant que nous sommes en vie. Le mode de vie des bouddhistes consiste à se lancer sans cesse des défis et à s’améliorer en renouvelant toujours notre esprit et en faisant preuve d’un engagement inébranlable.
Grande Montagne 54
Kiyoshi Jujo conclut, de tout son cœur : « Tout en gardant profondément à l’esprit les orientations données jusqu’à présent par le président Yamamoto et en m’efforçant d’être pour les autres un exemple en matière d’action, j’ai bien l’intention aussi d’apprendre de chacune et de chacun d’entre vous, de votre foi, tandis que vous œuvrez inlassablement à l’avant-garde de notre organisation.
« Bien que je sois le président, j’aimerais vous demander, s’il vous plaît, de ne pas m’appeler “Sensei”. Seuls les trois premiers présidents, nos trois maîtres, dans la lignée solennelle du mouvement Soka, méritent ce titre.
« En ce qui me concerne, appelez-moi simplement “M. Jujo” ou “Jujo”. En tant que compagnons de pratique, élançons-nous, pleins de fraîcheur, en nous considérant comme égaux, et développons-nous grâce au soutien et aux encouragements mutuels, tout en allant de l’avant dans l’unité selon le principe de “différents par le corps, un en esprit” !
« Je m’engage à servir tous nos membres et à créer un environnement où tout le monde pourra lutter dans sa pratique bouddhique avec joie et sérénité. Là encore, je vous demande votre soutien. »
Ses paroles passionnées et sincères firent bonne impression sur l’auditoire.
Dispenser des encouragements dans la foi ne signifie pas se mettre au-dessus des membres et leur donner des cours avec un sentiment de supériorité. Cela implique, pour chaque responsable, de montrer la voie en luttant avec détermination, passion et esprit d’initiative. C’est s’efforcer de former des liens authentiques avec les autres en les inspirant et en touchant profondément leur vie.
Sous l’œil avisé de Shin’ichi, la Soka Gakkai reprit sa marche en avant.
Le lendemain, 26 avril, Shin’ichi rendit visite au grand patriarche Nittatsu au Temple principal de la Nichiren Shoshu, à Fujinomiya, dans la préfecture de Shizuoka, pour lui présenter sa démission de sa fonction de représentant principal de l’ensemble des organisations laïques de la Nichiren Shoshu. En cette occasion, le grand patriarche Nittatsu remercia Shin’ichi pour avoir tant contribué, des années durant, à la prospérité de la Nichiren Shoshu, et il le nomma représentant principal honoraire de l’ensemble des organisations laïques de la Nichiren Shoshu.
Ce soir-là, Shin’ichi se rendit au centre de séminaires de Shizuoka [situé à Atami, à environ 65 kilomètres du Temple principal]. Dans ce bâtiment honorant la mémoire du premier président de la Soka Gakkai, Tsunesaburo Makiguchi1, il avait l’intention de s’interroger sur ce qu’il convenait de faire pour garantir le développement dynamique de la Soka Gakkai au XXIe siècle.
La fin d’une étape est le début d’une autre. Pour parvenir à un grand développement dans le futur, il est essentiel d’avoir une vision ferme et des plans précis.
Grande Montagne 55
Au centre de séminaires de Shizuoka, Shin’ichi Yamamoto réfléchit profondément à la meilleure façon de poursuivre les échanges et le dialogue avec des dirigeants et des penseurs du monde entier, aux origines religieuses et culturelles diverses, pour faire avancer la cause de la paix mondiale.
Il prit aussi le temps de rencontrer des représentants des étudiants, des femmes et des membres de Shizuoka. Il leur confirma ce qu’était la voie d’un membre de la Soka Gakkai : consacrer sa vie à kosen rufu, en s’appuyant sur la relation de maître et disciple, et il encouragea fortement chacune et chacun d’eux à aller de l’avant sans attendre.
Shin’ichi n’était pas autorisé à assister librement aux réunions de la Soka Gakkai, en raison des intrigues de l’avocat Tomomasa Yamawaki et de moines hauts placés de la Nichiren Shoshu, qui s’étaient unis pour tenter de prendre le contrôle de l’organisation.
Ils avaient déclaré que, puisque Shin’ichi avait démissionné de la présidence, il n’était pas souhaitable qu’il participe à des réunions et offre des encouragements ; de même, il n’était pas nécessaire, selon eux, que les publications de la Soka Gakkai rapportent ses paroles et ses actions.
Les seules nouvelles concernant Shin’ichi que le journal Seikyo pouvait relater concernaient ses voyages outre-mer ou ses rencontres avec des dignitaires étrangers. Les seules activités qui lui étaient autorisées au sein de l’organisation consistaient à rendre visite à des membres qui pratiquaient depuis longtemps et à leur offrir des encouragements personnels. L’objectif de Yamawaki, qui avait trahi ses engagements, et des moines, mus par leurs seuls intérêts personnels, était d’isoler totalement Shin’ichi et de creuser un fossé entre les membres et lui. Ils étaient convaincus que cela leur permettrait de manipuler l’organisation à leur guise et de soumettre les membres à leur autorité.
Le fil conducteur de la Soka Gakkai est l’esprit de maître et disciple, qui consiste à se consacrer à kosen rufu. Le président fondateur, Tsunesaburo Makiguchi, mort en prison pour ses convictions, laissa un exemple immortel de dévouement altruiste à la transmission de la Loi. Et le deuxième président, Josei Toda, parvint à un profond éveil en prison, en prenant conscience de sa noble mission de bodhisattva surgi de la Terre. Ces événements sont à l’origine de l’esprit de la Soka Gakkai.
Après être sorti de prison, M. Toda fit le vœu d’atteindre l’objectif de 750 000 foyers pratiquants, créant ainsi un vaste réseau de bodhisattvas surgis de la Terre – et il parvint à cet objectif, avec son disciple Shin’ichi à ses côtés. La Soka Gakkai illustra ainsi le principe, énoncé par Nichiren, selon lequel des bodhisattvas surgis de la Terre émergeraient constamment, les uns après les autres, pour propager la Loi merveilleuse (cf. Écrits, 389). Shin’ichi continua ensuite de forger des liens forts de maître et disciple avec les membres et de se lancer le défi de réaliser le kosen rufu mondial.
« En cette époque de la Fin de la Loi, la Soka Gakkai a transmis la Loi merveilleuse à de très nombreuses personnes et les a aidées à devenir heureuses, avait dit un jour Josei Toda. Dans les écrits bouddhiques du futur, il est certain que notre organisation aura pour nom “le Bouddha Soka Gakkai”. »
La Soka Gakkai est le rassemblement des personnes qui se consacrent à la grande mission de kosen rufu, et c’est précisément pour cela que le roi-démon du sixième ciel l’attaque avec l’esprit de se venger.
Grande Montagne 56
Le chapitre « Le bodhisattva Jamais-Méprisant » du Sûtra du Lotus relate l’histoire d’un bouddha nommé Roi-Son-Majestueux. Mais il n’y a pas qu’un seul bouddha qui s’appelle ainsi. Après l’entrée dans le nirvana du premier bouddha Roi-Son-Majestueux, un autre bouddha du même nom apparaît dans le monde. Comme il est dit dans le Sûtra du Lotus : « Il en fut ainsi et de la même manière, jusqu’à ce que vingt milliards de bouddhas soient apparus les uns après les autres, tous portant le même nom. » (SdL-XX, 256) Le Sûtra du Lotus enseigne donc que vingt milliards de bouddhas Roi-Son-Majestueux sont apparus les uns après les autres au cours d’une multitude de kalpa pour guider les êtres vivants vers l’illumination.
Josei Toda nous suggéra fort justement de considérer cet ensemble de bouddhas comme une organisation, une communauté harmonieuse de pratiquants qui s’appelle « le Bouddha Roi-Son-Majestueux ».
La vie d’un individu est limitée. Mais, quand l’esprit fondamental de lutter pour kosen rufu est transmis du maître aux disciples et que ces disciples poursuivent leurs efforts à travers le temps sous la forme d’un groupe ou d’une organisation, ce groupe de pratiquants en vient à posséder durablement la force vitale du Bouddha, qui guide sans cesse les êtres humains vers le bonheur.
« Le Bouddha Soka Gakkai » est un réseau de membres qui se consacrent au grand vœu de kosen rufu, un rassemblement de bodhisattvas surgis de la Terre engagés sur les pas des premier et deuxième présidents, Tsunesaburo Makiguchi et Josei Toda, qui étaient unis par les liens de maître et disciple.
Mais comment assurer la pérennité éternelle du « Bouddha Soka Gakkai » ?
La première condition requise est que chaque membre s’engage à accomplir durant toute sa vie le grand vœu de kosen rufu. En ayant profondément conscience que kosen rufu est l’objectif fondamental de sa vie et en faisant preuve d’empathie envers les personnes qui souffrent, chaque membre doit s’efforcer de mettre en pratique les paroles de Nichiren : « Enseignez aux autres [le bouddhisme] au mieux de vos capacités, ne serait-ce qu’une phrase. » (Écrits, 390)
La deuxième condition consiste à suivre avec persévérance la grande voie de l’unité du maître et du disciple. En héritant de l’esprit du maître qui consiste à se consacrer avec altruisme à la transmission de la Loi, les disciples doivent étudier minutieusement ses enseignements et en faire le guide de leurs actions et de leur comportement. Chaque jour, les disciples doivent se lancer des défis pour kosen rufu, garder toujours leur maître dans leur cœur et dialoguer intérieurement avec lui en réfléchissant à ce qu’il ferait à leur place.
La troisième condition est de s’unir, selon le principe de « différents par le corps, un en esprit ». Nichiren écrit : « […] réciter Nam-myoho-renge-kyo avec la conscience d’être différents par le corps, un en esprit […] est la base de l’héritage de la Loi ultime de la vie et de la mort. » (Écrits, 218) L’héritage de la Loi se transmet parfaitement quand les membres s’unissent autour d’un même objectif et manifestent toutes leurs capacités pour kosen rufu.
Grande Montagne 57
Puisque la Soka Gakkai est le « Bouddha Soka Gakkai », elle doit réaliser sans cesse la grande mission de kosen rufu en générant éternellement un flot de successeurs.
Shin’ichi Yamamoto prit en lui-même le ferme engagement de créer un fleuve puissant de personnes de valeur.
Il se rappela que, le 6 janvier 1951, dans les conditions les plus terrifiantes, son maître Josei Toda l’avait invité chez lui et lui avait tout confié.
À l’automne 1949, alors que sa société d’édition était en plein échec, Toda s’était engagé dans une coopérative financière, en prenant la fonction de directeur exécutif de l’Union de crédit pour la construction Toko. Cependant, dans le tumulte économique de l’après-guerre, cette société de crédit fut confrontée aux pires difficultés et sa situation alla de mal en pis. Finalement, le gouvernement lui ordonna de mettre un terme à ses activités. Résolu à trouver une autre voie pour aller de l’avant, Toda se lança dans de nouvelles affaires en tant que conseiller exécutif de la société Daito Commerce, mais les résultats furent tout aussi décevants.
Certains employés, dominés par la colère et le ressentiment, démissionnèrent en critiquant Toda et en répandant des calomnies sur son compte. Des créanciers entamèrent des poursuites judiciaires, de sorte qu’il faillit même être arrêté. Toda décida d’aller voir personnellement des représentants des autorités officielles pour tenter de leur expliquer la situation.
C’est dans ce contexte qu’il invita Shin’ichi à venir lui rendre visite, en ce jour de janvier 1951, afin qu’il l’aide à procéder à la dissolution de l’Union de crédit pour la construction Toko.
Avec son épouse Ikue à ses côtés, Toda partagea en toute franchise ses pensées avec Shin’ichi. Ikue pleurait en silence, les épaules tremblantes. D’un ton sévère, Toda lui rappela que l’épouse d’un général ne devait pas pleurer en cas de crise, puis il dit à Shin’ichi : « S’il devait m’arriver quelque chose, j’aimerais que tu prennes la direction de la Soka Gakkai, de l’Union de crédit, de Daito Commerce, et de tout le reste. Veux-tu bien faire cela pour moi ? Et, dans ce cas, accepterais-tu aussi de veiller sur ma famille ?
« Ma mission dans cette vie est aussi la tienne, poursuivit-il. Je pense que tu me comprends, n’est-ce pas ? Quoi qu’il arrive, tu dois être fort. »
Lutter ensemble pour la grande mission de kosen rufu, sans se laisser décourager par les défis ou les obstacles, quels qu’ils soient, constitue la voie de maître et disciple.
Grande Montagne 58
Josei Toda entendait se consacrer à l’avenir de kosen rufu. Il était déterminé à tout confier à son disciple et successeur Shin’ichi Yamamoto pour s’assurer que l’esprit de la Soka Gakkai se perpétue éternellement.
Shin’ichi connaissait parfaitement les intentions de son maître.
Comme pour les lui rappeler, Toda lui dit : « Si toi et moi, nous demeurons fidèles à notre mission, le temps viendra à coup sûr où le vœu de Nichiren sera accompli. Quoi que l’on dise, avançons fermement et résolument ensemble ! »
Shin’ichi leva des yeux embués de larmes : « Sensei, dit-il, je vous en prie, ne craignez rien. J’ai toujours été prêt à vous donner toute ma vie sans le moindre regret, et cela restera vrai, éternellement. »
Ce dialogue solennel entre le maître et le disciple se déroula à un moment où Toda s’était lancé, dos au mur, dans une lutte désespérée.
À ce moment-là, Shin’ichi se rappela l’ultime conversation entre le célèbre samouraï, Kusunoki Masashige et son fils aîné, Masatsura, au moment où Masashige allait partir pour la bataille de Minatogawa (à Kobe, dans l’actuelle préfecture de Hyogo).
En 1336, Masashige s’apprêtait à engager le combat à Minatogawa pour empêcher Ashikaga Takauji, ancien général loyaliste qui s’était retourné contre l’empereur, d’envahir la capitale impériale, Kyoto. Les forces de Masashige étant très inférieures à celles de Takauji, la défaite était certaine. Mais Masashige était prêt à donner sa vie.
Avant de s’en aller sur le champ de bataille, il fit venir son fils Masatsura à Sakurai (dans l’actuelle préfecture d’Osaka) et lui donna pour instruction de retourner dans leur foyer. Mais Masatsura était prêt à mourir au combat au côté de son père et refusa de partir. En larmes, Masashige parvint en définitive à le convaincre en lui disant que, s’ils mouraient tous les deux, plus personne ne pourrait empêcher Ashikaga Takauji de conquérir le royaume.
La chanson Les feuilles vertes de Sakurai – plus connue sous le titre Dainanko (le grand héros Kusunoki2) – décrit cet échange. Toda aimait cette chanson et demandait souvent aux jeunes gens de l’interpréter pour lui. Dans cette chanson, Masashige dit à son jeune fils Masatsura : « Dépêche-toi de grandir et deviens un jeune homme valeureux, capable de servir l’empereur pour le bien de notre pays. » Dans l’esprit de Josei Toda, ces paroles exprimaient l’espoir que la jeunesse de la Soka Gakkai prenne la pleine responsabilité de l’avenir et se consacre à accomplir le grand vœu de kosen rufu.
Grande Montagne 59
En ce 6 janvier 1951, les paroles prononcées par son maître – au moment où il s’apprêtait à dissoudre l’Union de crédit après avoir tout tenté pour la sauver – rappelèrent à Shin’ichi les sentiments de Kusunoki Masashige exprimés dans la chanson Dainanko.
En chassant ses larmes, Masashige
appela son fils Masatsura à ses côtés.
« Moi, ton père, lui dit-il, je vais partir pour Hyogo
et lutterai jusqu’à ma mort dans cette baie lointaine.
Tu as fait un long voyage pour venir jusqu’ici
mais, maintenant, tu dois sans attendre retourner à la maison. »
En cet instant précis, au centre de séminaires de Shizuoka, Shin’ichi comprenait profondément les intentions du courageux général Masashige, qui avait laissé son successeur à l’arrière avant de s’engager dans une bataille au risque de sa vie, et celles de son propre maître, Josei Toda, lors de leur rencontre, vingt-huit ans plus tôt. Lui-même s’apprêtait à s’élancer dans un nouveau voyage pour le kosen rufu mondial tout en confiant la Soka Gakkai à la nouvelle équipe, dirigée par le président Jujo, et à ses valeureux successeurs du département de la jeunesse. Il réalisa alors combien la détermination de Toda avait dû être profonde en ce jour de janvier 1951.
Shin’ichi s’assit devant le piano blanc du centre de séminaires et se mit à interpréter avec entrain Dainanko.
« Père, quoi que tu dises,
comment pourrais-je t’abandonner
et revenir au foyer ?
Moi, Masatsura, je suis encore
jeune par le nombre des années, mais je me joindrai à toi
dans ce voyage vers la mort. »
« Masatsura, répondit son père, je te demande de retourner à la maison
et ce n’est pas par intérêt personnel.
Si je devais mourir,
le royaume tomberait entre les mains de Takauji. »
Dans son cœur, Shin’ichi adressa ce vœu à son maître : « Masashige et son fils Masatsura, qui accomplit les vœux de son père, furent l’un et l’autre finalement vaincus par les forces d’Ashikaga et moururent sans avoir atteint leur objectif, mais, en ce qui me concerne, je ne serai pas vaincu. Je protégerai tous nos membres et ouvrirai un nouveau champ d’action pour le kosen rufu mondial ! »
Grande Montagne 60
Shin’ichi réfléchit profondément : « M. Toda m’a tout confié à moi, son fidèle disciple. Il s’est consacré de tout son être à m’enseigner le bouddhisme et la foi, en m’instruisant dans toutes sortes de matières, en partageant avec moi sa sagesse sur l’art de diriger et sur la nature humaine, et en s’employant entièrement à me former de toutes les façons possibles. Je sens que ces jours d’épreuves difficiles qui ont suivi l’effondrement des affaires de mon maître correspondaient toutes au dessein des divinités célestes, afin que je me forge pour devenir un vrai lion.
« Durant les dix-neuf années écoulées depuis mon accession à la présidence de la Soka Gakkai, j’ai moi aussi développé les unes après les autres des personnes de valeur. Mais la tâche essentielle se trouve devant nous.
« J’aimerais que les principaux responsables d’aujourd’hui que j’ai formés pour me succéder, et qui constituent en quelque sorte notre premier rang de personnes de valeur, prennent entièrement la responsabilité de la Soka Gakkai. J’espère qu’ils s’entraîneront de tout leur cœur pour le bien de notre mouvement en prenant un départ plein de fraîcheur face à la tempête des défis, et qu’ils deviendront ainsi d’authentiques lions. Une lutte totale, sans retour possible, renforce la détermination et permet de se forger un esprit courageux digne d’un lion.
« En fait, je pourrai encore veiller sur eux, les encourager personnellement et leur donner des conseils en tant que compagnons de pratique. Je ne dois pas laisser la nouvelle équipe de responsables et les jeunes qui me succèdent être, comme Masatsura, vaincus dans le combat. »
Shin’ichi était convaincu que tout cela se déroulait en accord avec l’intention du Bouddha.
« Une autre tâche d’une importance cruciale consistera à former de jeunes lions à qui je pourrai confier le XXIe siècle. J’aimerais que les jeunes se développent et deviennent de remarquables successeurs détenant à la fois courage et sagesse et capables de réagir à tous les changements, aussi difficiles soient-ils. »
Afin de transmettre ce vœu au département de la jeunesse, Shin’ichi décida d’enregistrer une cassette où il interprétait Dainanko au piano et de l’offrir à leurs représentants.
Il demanda aussitôt aux employés du centre d’aller lui chercher un magnétophone et il commença par enregistrer ces paroles : « Je vous dédie cette chanson à vous, mes chers jeunes amis en qui j’ai toute confiance, en priant pour que vous réalisiez de grandes choses dans la perspective du XXIe siècle. » Puis il retourna une nouvelle fois au piano.
Il mit tout son cœur dans son interprétation et joua avec force et intensité, en souhaitant ardemment l’éclosion de chacun de ses disciples.
« Dressez-vous ! Mes disciples, mes amis pratiquants, allez de l’avant avec courage. Que chacune et chacun de vous devienne un ″Shin’ichi″. » Voilà ce qu’il avait à l’esprit au moment où il jouait du piano.
- *1Durant la guerre, le président Makiguchi fut arrêté par les autorités militaristes alors qu’il était en visite dans la préfecture de Shizuoka, en juillet 1943.
- *2Les paroles de cette chanson furent composées par le célèbre poète et spécialiste de littérature japonaise Naobumi Ochiai (1861-1903). Elles décrivent de façon poignante la séparation entre le brillant stratège militaire du XIVe siècle, Kusunoki Masashige (mort en 1336), et son fils, Masatsura. Lorsque le père part pour la bataille, son jeune fils déclare qu’il va l’accompagner et qu’il est prêt à mourir à ses côtés. Mais le père demande à son fils de rester à l’arrière pour continuer de vivre en perpétuant ses aspirations. Cette chanson est souvent interprétée dans la Soka Gakkai pour exprimer l’esprit d’unité du maître et du disciple.